Deuxième nouvelle :
Nos lèvres se rapprochent, les battements de mon coeur s'accélèrent. Nous avons au moins trente ans de différence. Je suis le parcours de ses veines le long de son bras. Sa chair flasque et usée se tord sur mon passage. Enfin j'ai de l'importance. Est-ce le bon ou juste un petit vieux parmi tous les autres ? Il tousse, se racle la gorge ... J'ai peur de le réveiller. Si je continue comme ça, mon coeur va exploser. Ma cage thoracique se soulève, j'ai envie de vomir.
« Papa ? »
Silence. Ils ne répondent jamais de toute façon. Jamais. Pas envie, pas que ça à faire c'est ça ? Hein Papa, c'est ça ? Je vais devenir fou. S'il ne répond pas je vais devenir fou. D'ailleurs, je n'y tiens plus. J'embrasse ses lèvres, sa moustache me pique. Il n'y a presque plus de vie dans ce baiser, mais ça me ramène si loin. Il ne bronche pas le vieux. Il s'en fout, il ne lui reste plus rien à vivre. Je vomis, comme ça, au pied de son lit, il s'en fout toujours éperdument. Je me rhabille en vitesse, il faut que je parte. Je ne peux pas supporter ce nouvel échec. Avant de fermer la porte, je me retourne, juste un instant. « A la semaine prochaine, Mr White ... »
J'allume ma cigarette sur le pas de la porte. La vieille sur le balcon tousse, comme ça, juste histoire de me faire sentir que je n'ai rien à faire ici. Je la regarde dans les yeux, longuement. Elle s'en fout, elle à déjà oublié que j'étais là. Elle caresse son chat, imperturbable. Toujours le même chat, toujours dans le même sens. Les yeux dans le vague. Je m'approche un peu, histoire de voir si elle bouge. Pas un bruit. J'avais oublié l'odeur. Une infection ! D'un geste surement un peu trop brusque, je me bouche le nez. Elle l'as remarqué et, dans un ultime effort, à travers les âges, elle se met à vociférer des insultes, le poing en l'air. Son chat tombe sur le sol carrelé. Un simple bruit mat, très étouffé. Son cadavre inanimé tourné dans ma direction, il me fixe avec ses yeux vitreux.
« Allez, tire-toi, tu ne trouveras jamais ce que tu cherches »
Je laisse la vieille et son chat mort derrière moi.
Vinnie. Mon prénom c'est Vinnie. Ce crétin de Paki ne peut-il pas retenir ce foutu prénom ? Il m'appelle toujours Billy ou Stan. Non, moi c'est Vinnie. Vinnie Roberts même. On m'appelle Vin d'habitude. Mais pas ce Paki. Premièrement , je ne le laisserai jamais m' appeler par mon surnom. Deuxièmement, il ne retient jamais mon nom. Deux ans maintenant qu'il tient ce Wal-Mart, il continue à vendre sa pourriture hindou ou je ne sais quoi, que personne ne lui achète. Il me dévisage toujours quand je rentre. Débardeur de rodéo, rentré dans mon pantalon. Mes Santiags en cuir brun, qui remontent par dessus mon jean délavé. Ma ceinture avec une tête d'aigle. Celle de mon père. Je le dévisage aussi derrière mes lunettes de soleil : Petit et gras, il se démène derrière sa caisse. Ses gros doigts boudinés palpent frénétiquement les billets, il sue abondamment. Sa veste en velours qu'il s'entête à mettre, même par cette chaleur, le moule vraiment. Ce n'est pas à son avantage. Je paye mon pack de bière et je m'en vais. A la sortie, je prends le temps d'admirer la scène. La magasin est aussi miteux qu'avant, et l'on ne voit même pas de trace de sang. Quand le cadavre sera découvert, je serais là, je ferais le shérif, je consolerais les veuves et les orphelins. Papa serait fier de moi.
The Star-Spangled Banner résonne dans la chambre, accompagnée par la respiration faible du vieil homme. Je repense à mon père. Le fusil au poing, parmi les bombes, à hurler des ordres stupides à des gens qu'il ne connait pas. Pendant ce temps, son fils attend gentiment un appel dans sa chambre. L'appel ne vient pas et il crie le nom de son père. Personne ne lui répond. Il pleure, dans sa bannière aux couleurs de l'arc-en-ciel, il veut se réfugier parmi les siens. Son père meurt, il n'aura jamais répondu et son fils ne lui aura jamais dit au revoir. Le fils se cache derrière une virilité exacerbée, il doit être le digne fils de son père. 15 ans qu'il le cherche maintenant.
Je me ressaisis. Cela fait une heure que le vieux dort. Mes bottes crissent sur le carrelage. Je viens de dormir moi aussi. Comme toujours avant d'essayer. Cet homme n'est pas comme les autres. Il est laid. Il est hideux même. J'espère encore pouvoir reculer mais c'est trop tard. C'est ça ou rien, visiblement.
L'homme se retourne fréquemment dans son lit. Ses os s'entrechoquent, il est très maigre. Sa tête paraît énorme en conséquence, et son front est proéminent. Je suis saisi de nausée. Ce n'est même plus un homme, c'est une flaque. Difforme. Il a un cancer. Il va mourir. Il a besoin d'aide, et je suis payé pour m'en occuper. L'argent c'est en plus. Ca fait 10 ans que je garde des vieux. Ce n'est pas une passion, ça me répugne. Je les déteste, il faut toujours s'occuper d'eux avant tout. Ils se bavent dessus et se permettent de vous reprocher d'être sale. J'ai souvent envie de leur balancer leur soupe au visage. La plupart m'aiment bien. Je ne suis pas là pour ça. Je veux seulement retrouver quelque chose, après, je m'en irais. Après, je peux bien mourir. Il faut que je lui dise au revoir, il faut que je salue mon père une dernière fois avant qu'il meure. L'idée m'est venue comme ça, sur un coup de tête. Et a force d'essuyer autant d'échecs, la haine a finis par me pousser à continuer.
Je suis près de son lit maintenant, au dessus de nous, la bannière étoilée. Cette fois, ce ne sera pas comme les autres fois. Je sors mon arme, je tire trois fois au dessus de sa tête. Le vieux ne se réveille pas. Je panique, et s'il était mort? Je l'ai tué ? Hein, je t'ai tué papa ? Je tend l'oreille, pas un bruit pourtant. Tu va te réveiller oui ? Je secoue sa carcasse inerte. Je n'y tiens plus, je sors le corps flasque du lit et le lâche par terre. Des os se brisent, sa tête heurte le sol. En larme, je l'embrasse sauvagement. Nos deux visages sont trempés de larmes. Il ouvre un oeil.
« Casse toi petit, tire toi, vite... »
C'est la première fois qu'il y en a un qui se réveille. J'ai dit au revoir à mon père. Je croyais que je pourrais l'abandonner sans problème, et maintenant qu'il me demande de le laisser mourir, je n'hésite plus. Il se prend pour un cowboy le vieux. Je regarde le pauvre corps au sol, j'ai pitié. Je me sens fort. Papa m'apprenait à tuer les chevaux blessés dans notre ranch. Viser la tête, lâcher la pierre sans hésitation. Je décroche le drapeau américain de son mur. Un coup d'oeil par la fenêtre. Il n'as pas de voisin. Je saisi la perche du drapeau et vise son oeil. Pas de respiration. Tic, tac, tic, tac fait l'horloge. Ce n'est plus qu'un rêve. Je défonce son crane avec le drapeau. Toujours pas de bruit. Je sors de ce pavillon, les mains dans les poches. Je siffle, le vent fait voler mes cheveux. Je suis enfin libre, puisque ma vie n'as plus de sens.