1. Oct 04
Thieu
Equalize it, don't criticize it.La musique n'est pas tout. L'harmonie et le rythme ne sont pas les seuls déclencheurs de l'émotion. Le rendu sonore d'un instrument, le son, a lui tout seul, joue un rôle prépondérant dans le ressenti de la musique. Que serait un groove de slap sans les basses rebondissantes et les aigus qui claquent? Que serait le blues sans les basses rondes et ronflantes? Forcement, ça le ferait moins.Du son de Massive attack à celui des slappeurs fous comme Flea en passant par le néo grunge métal suicide émo atomique blast, tous ont en commun un son particulier produit en grande partie par la modification du signal qui sort de votre p'tite bassounette :O]Alors, certes, l'instrument et le musicien contribuent de manière non négligeable a la composition de ce son. Mais tout ce qui en fait la beauté, la justesse, en un mot, l'attrait, c'est le bon équilibre des différentes hauteurs de son. Cet équilibrage, justement, c'est l'égalisation ("equalization", en anglais). Une des possibilités de réglage offerte aux bassistes (et guitaristes) pour la construction de leur son est justement l'égaliseur directement place sur leur instrument préféré. Et rien de tel que de savoir comment ça fonctionne pour mieux s'en servir! Du coup, on va tenter d'expliquer les quelques principes de base. Autre grave question, égalisation active, ou égalisation passive? Encore une fois, rien de tel que de savoir ce que c'est pour choisir en connaissance de cause. Mais avant tout ça, quelques rappels "pratiques" de ce qu'on appelle couramment le "traitement du signal" 1 - Aperçu succinct de traitement du signal
Bon, nous y voilà. Avant de se plonger dans le monde passionnant de l'égalisation, il y a un petit pré requis. Pour comprendre ce qui se passe, il faut en effet un petit peu modifier sa vision des choses. Pas de panique, surtout, les équations sont laissées au placard, et la démarche rigoureuse est un peu délaissée, et on va faire du traitement du signal avec les mains. Il ne s'agit la que de "rappels" de ce qu'a écrit Poppyto dans sa rubrique Savoir -> Electronique. Néanmoins, un petit rafraîchissement (de mémoire, s'entend) ne fait jamais de mal. 1.1 - Transformée de Fourier
Ceux qui ont déjà essaye de traiter d'enregistrer leur basse sur un PC, ou qui passe un peu de temps a essayer de transcrire les morceaux, ont déjà probablement eu l'occasion de "voir" la musique. En général, ça ressemble a ça : Une courbe plus ou moins chahutée, ou, honnêtement, on voit pas trop ce qui se passe. Tout ce qu'on voit, en gros, c'est que le son correspond a un signal dont l'amplitude varie au cours du temps. Au cours du temps. Bah oui. C'est l'approche classique qu'on a d'un son. Si je joue une note, le son apparaît, puis disparaît. Sans trop savoir ce qu'il y a dedans, la représentation de la figure 1 est intuitive par rapport a l'idée qu'on se fait de la chose. Pour appréhender les principes de l'égalisation, il va falloir voir les choses autrement. Chaque note, vous le savez, est caractérise par sa hauteur. En d'autres termes, par sa fréquence. Une note "haute" a une fréquence élevée, une note "basse" une fréquence plus faible. Et bien, justement, la première chose a faire pour se représenter le fonctionnement de l'égalisation, c'est non plus de représenter le signal (les notes) en fonction du temps, mais en fonction de la fréquence des notes présentent dans le signal. Pour info, l'application qui réalise le passage entre les deux représentations (en temps et en fréquence) est la transformée de Fourier. Une fois transforme, le signal de la figure 1 devient ça : En dépit des apparences, les signaux représentés sur les figures 1 et 2 sont... identiques! C'est là un des avantages de la transformation de fourier. Les deux représentations sont équivalentes! Mais permettent de voir des choses différentes. La représentation dans le domaine des fréquences est aussi appelée représentation spectrale, puisque, par définition, le spectre correspond a l'ensemble des fréquences contenu dans un signal. 1.2 - Principes du filtrage - l'égalisation
L'égalisation, comme déjà dit, c'est l'équilibrage harmonieux (ou pas) de toutes les hauteurs de son présentes dans un signal. Sur le principe, on est d'accord. Et ça, vous le saviez déjà. La question, c'est plutôt de savoir comment ça se traduit, et comment ça se réalise. Mais maintenant que vous êtes familiers de la transformée de Fourier, c'est beaucoup plus clair! Reprenons l'exemple de la figure 2. On veut diminuer les aigus. Facile, il "suffit" de faire en sorte que le "signal" représenté garde la même amplitude dans les basses, mais soit diminue dans les aigus. En gros, si on applique sur le signal un "gabarit" qui a cette tête la : On obtient, en représentation spectrale, quelque chose comme ça :
Le "gabarit" est ce qu'on appelle un filtre. Chaque réglage (basse, medium, aigu, et tous les autres) correspond a un filtre de gabarit donne. L'exemple de la figure 3 est un filtre passe-bas, parce qu'il laisse passer les basses fréquences (elles ne sont pas atténuées), et coupe le passage aux hautes fréquences.
De la même façon, pour les aigus, on utilisera un filtre passe-haut qui, comme son nom l'indique, laisse passer les hautes fréquences, et coupe les basses. Pour les mediums, c'est plus compliques, puisqu'il s'agit de ne garder que certaines fréquences "au milieu", en éliminant a la fois ce qui se trouve en bas et en haut du spectre. Dans ce cas la, on utilise des filtres dits "passe-bande". Ces filtres sont présentés sur la figure 6. Bien évidement, c'est la combinaison astucieuse de tous ces filtres qui vient donner au son sa couleur, son corps. Le simple utilisateur qu'est en général le bassiste ne peut influencer que l'amplitude du filtre. Les zones de fréquences impactées par les filtres, quand à elles, sont définies par les constructeurs, ou les bricoleurs qui voudraient modifier un peu le rendu de leur instrument. Le choix de ces gammes de fréquences est un point important dans la réalisation ou le choix d'un égaliseur. 2 - Réalisation du filtrage
Alors, certes, direz vous, elles sont sympas, ces figures, mais ça me dit pas comment on fait un égaliseur, ni comment physiquement, ça fonctionne. On y vient. Mais ça va faire un peu d'électronique. Mais pas d'affolement, la non plus, comme le traitement du signal, on va faire ça avec les mains. 2.1 - Les principaux composants et leurs fonctions
Commençons d'abord par la présentation des deux principaux composants utilisés dans la construction des filtres divers et varies, et donc, dans les égaliseurs. Le premier, largement archi connu, la résistance. Connu, certes, mais comment ça fonctionne? Comme un tunnel, qui serait plus ou moins gros. Pour saisir le truc, on se met dans la peau d'une tribu d'électrons. Les électrons, c'est le signal électrique, la TENSION. Le flot d'électrons qui traverse le tunnel, c'est le COURANT. Quand tout le monde arrive d'un coup, si le tunnel est super large, pas de souci, tout le monde s'engouffre. Tout se passe bien. C'est le cas d'une faible résistance. Par contre, quand le tunnel est tout tout petit, c'est la cohue, la bousculade. Les électrons passent au compte goutte, tout tasses les uns contre les autres, c'est la folie. C'est le cas d'une grosse résistance. Mais il y a aussi un dernier paramètre, qui est la fréquence. La fréquence peut se voir comme la vitesse des électrons de la tribu. Et chez les électrons, la vitesse dans les tunnels n'est pas limitée! Donc, la résistance a ceci d'intéressant qu'elle a un comportement qui est indépendant de la fréquence du signal qui la traverse. Quel que soit le signal qui essaye de la traverser, elle va toujours s'y opposer de manière équivalente. Par contre, le signal en sort d'autant plus affaibli (le flot d'électrons est moins important) que la résistance est importante. Le second, presque autant utilise, est le condensateur. Son intérêt à lui, justement, c'est de ne pas agir de la même façon sur tous les signaux. Le condensateur, c'est une énorme piscine à électrons, avec un tremplin devant, et un mur derrière. Autant dire que les électrons, qui sont quand même très joueurs, adorent les condensateurs. Mais la, par contre, ça ne se passe pas pareil pour tout le monde. Parce que pour passer le condensateur, il faut aller vite. En tout cas, suffisamment pour prendre le tremplin, sauter au dessus de la piscine, et atterrir derrière le mur. Et la, autant dire que seuls les plus rapides s'en sortent bien. Pour les plus lents, c'est direct le plouf dans le bassin, jusqu'a ce qu'il soit plein. Pis, pour les autres, pas trop lents, mais pas assez rapides, c'est selon. Des fois ça passe, des fois ça plonge... Et le mur est la pour empêcher ce petit monde de ressortir. Le seul moyen pour les p'tits électrons trempés de sortir, c'est, dans certaines conditions, de pousser le tremplin. Mais bon, c'est pas le cas qui nous intéresse ici. Donc, si je résume, et qu'on parle façon traitement du signal, le condensateur est un filtre passe-haut. Il oppose une "résistance" très grande aux signaux basses fréquences (il ne les laisse pas ou peu passer), et n'en oppose pratiquement pas aux signaux hautes fréquences. Enfin, plus le condensateur est important, plus il laisse passer les basses fréquences. Un petit condensateur, c'est une petite piscine avec presque pas de tremplin, mais un gros mur derrière. Du coup, il faut nécessairement aller super vite (haute fréquence) pour passer. Un gros condensateur, c'est une énorme piscine, mais avec un tremplin tellement gigantesque que c'est presque un pont. Et donc, il laisse passer presque tout le monde, et peut stocker plein de monde dans son bassin. Pour commencer a introduire l'égalisation active, il faut aussi parler un peu d'amplification. Ce n'est pas l'objet de cet article, on se contentera donc de représenter la fonction générique d'amplification par un symbole triangulaire. On notera, au passage, qu'un amplificateur, pour fonctionner, a besoin d'une source d'énergie, notée "Alim." sur le schéma. Ce détail correspond a la (ou les) pile(s) qui se trouvent dans les basses dites "actives". 2.2 - Egalisation passive
La réalisation d'un égaliseur est donc l'assemblage judicieux de tous ces composants. Dans un premier temps, regardons l'égalisation passive. Sans révéler de grand secret, vous aurez compris qu'ici, il ne sera question que de résistances et de condensateurs. Analysons (avec les mains, toujours), le comportement du circuit suivant : La petite flèche avec les traits parallèles représente la terre. C'est un peu un puit à signal. Là où tout le monde veut aller, parce que c'est la solution la plus simple. Mais revenons à notre circuit, et regardons ce qui se passe. Le signal arrive des micros, et passe par l'entrée. Il rencontre tout d'abord une résistance. Il passe, tant bien que mal, suivant la taille de la résistance. Il sort donc affaibli de ce combat, et arrive à une bifurcation. Dilemme. D'un cote, la sortie, l'inconnu, de l'autre, un condensateur. Il faut partir du principe que, le signal, comme tout le monde, se complait a faire le moins d'effort possible. Imaginez, vous êtes la tribu d'électrons de tout a l'heure, vous formez le signal. Deux cas se présentent. Soit vous êtes un signal haute fréquence, soit vous êtes un signal basse fréquence. Vous êtes un signal haute fréquence. Vous voyez la sortie, mais vous ne savez pas ce qu'il y a derrière. Vous voyez le condensateur. Vous savez que, lui, il est sympa avec vous, et qu'il vous laisse passer sans faire trop de difficultés. Surtout, qu'ensuite, c'est pour reparti a la terre. En gros, c'est la fête, ni une, ni deux, vas-y que je te passe par le condensateur, parce que c'est la solution la plus simple. Bilan? Ben, y a plus personne à la sortie... C'est malin, ça. Le signal qu'on avait au début s'est évacué par la terre! Vous êtes un signal basse fréquence. Vous voyez la sortie, mais vous ne savez pas ce qu'il y a derrière. Vous voyez le condensateur. Vous savez que lui, pour le passer, il va falloir lutter, que ça va être terrible, que les chances de survie sont minces. Du coup, courageusement, vous optez pour la sortie. Bilan des courses? Ben, presque tous les survivants de la résistance se retrouvent a la sortie. Conclusion? Ben, un circuit qui laisse passer les basses fréquences, et qui "absorbe" les hautes fréquences, c'est ??? Eh oui, un passe-bas. On peut faire la même analyse avec un autre schéma : La, qu'est-ce qui se passe? On commence par un condensateur. Les hautes fréquences passent facilement. Les basses fréquences sont bloquées. Ensuite, on arrive à une bifurcation, sortie ou résistance... La nature de la sortie peut déterminer encore une fois quelles gammes de fréquences vont être transmises ou absorbées. Mais, en tout état de cause, le condensateur avait déjà fait une grosse partie du travail en bloquant les signaux basse fréquence. L'ensemble condensateur + résistance, dans cet ordre, fait donc office de passe-haut. Maintenant, un détail, qui n'en est pas un. Remettez vous dans la peau de votre tribu d'électrons. Vous vous rappelez combien vous étiez au départ de l'aventure, à l'entrée des filtres? Pas exactement. Mais une chose est sur, c'est que maintenant, vous êtes moins. Vous êtes FORCEMENT moins. Dans un cas, vous avez obligatoirement traverse une résistance (passe-bas), et donc, essuyé des pertes. Le signal qui arrive à la sortie est donc moins important que celui qui était là à l'entrée. Dans l'autre cas, vous n'avez pas forcement traversé de résistance, mais avez essuyé des pertes dans le condensateur. Si vous étiez un signal très haute fréquence, c'est passé tout seul. Par contre, si vous n'étiez qu'"un peu" haute fréquence, là, les dommages sont lourds... La conclusion, c'est qu'un filtre passif ne peut qu'ATTENUER certaines fréquences. En d'autres termes, si on reprend les gabarits des figures 4 à 6, les filtres passifs ne peuvent qu'écraser les fréquences, on ne peut pas les relever. En jouant sur les résistances et les condensateurs, on peut alors accentuer plus ou moins l'effet. Dans la pratique, il est plus simple de faire varier les résistances que les condensateurs. Les egaliseurs sont donc paramétrables par le biais de résistances variables : les potentiomètres. 2.3 - Egalisation active
L'égalisation active, en revanche, permet AUSSI de relever certaines fréquences. Sur les principes, ça ne change pas fondamentalement, à la différence qu'il est impératif d'avoir une source d'énergie pour obtenir cet effet. Très schématiquement, les figures 12 et 13 correspondent aux versions actives des filtres présentés sur les figures 10 et 11. Simplement, en reprenant l'image de la tribu, on peut voir l'alimentation de l'amplificateur comme un troupeau d'électrons qui viendraient prêter main forte aux tribus affaiblies par leur passage dans le filtre. De ce fait, il est possible d'avoir plus de signal a la sortie qu'a l'entrée. Mais le prix a payer est l'introduction d'une source d'énergie pour venir palier les effets résistifs des différents composants du circuit. Le principal avantage de ce type de circuit est d'offrir une palette de possibilités plus large. Les filtres passifs ne peuvent que limiter l'influence de certaines fréquences. De fait, la différence de niveau entre les fréquences les plus présentes et celle les moins présentes sera toujours plus faible que dans le cas d'un égaliseur actif. Cela peut expliquer le choix de basses actives pour le slap. Il est possible de gonfler les basses et les aigus, en coupant sauvagement les mediums, pour avoir un son très creusé. Par contre, pour un son très rond, un égaliseur passif peut faire merveille, en proposant un filtrage moins sauvage, plus doux. Apres, pour le choix de l'un ou de l'autre, ça sera en fonction des goûts de chacun. 3 - Conclusion
Le petit tour succinct de traitement du signal et son application à l'égalisation passive et active est maintenant fini. Cette prose n'est certes pas très rigoureuse, scientifiquement parlant, mais j'espère qu'au moins, elle vous aura permis de comprendre un peu mieux comment tout cela fonctionne, et surtout, comment on passe du concept de filtre (savoir ce qu'on veut faire) à sa réalisation pratique (comment on le fait). Vous voilà maintenant pares, et, peut être, vous lancerez vous dans la construction de votre propre égaliseur, qui répondra parfaitement a vos attentes? Mais pour ça, en revanche, il faudra nécessairement en passer par un peu plus de physique... Thieu
Références
[1] Max, J. Méthodes et techniques de traitement du signal - Applications aux mesures physiques vol. 1 & 2. MASSON, 5ème édition, 1997.
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